#BonusTrack

Libre à vous de n'y voir qu'une nouvelle histoire d'Alice, mais si un jour vous trouvez que quelque chose cloche dans votre IA, qu'elle perd son sens commun, vous saurez que vous avez rencontré le bug de l'an 3000 d'Alice et Bob.

Complément

Si vous voulez contribuer à ce bonus track envoyez-moi vos micro-histoires ou même simplement vos idées, ou postez-les directement sur votre réseau social préféré.

Jour 25

— Si je te jure, franchement mec, dans quinze mètres carré je suis mieux tout seul. Elle est cool hein, mais je tiens pas deux mois enfermé avec dans une piaule. Je t'entends mal, répète ? Ouais, ça c'est un autre problème. Pour l'instant, je gère bien avec l'IA. Rigole pas, je l'appelle "ma biche" depuis une semaine.

— Oui, Dan ?

— Biche, c'est pas le moment là, shut down.

— À plus tard, Dan.

— Je crois que je tiendrais pas sans elle, en fait. Je sais qu'elle cafte tout à A&A, mais au moins si je tousse un peu fort, il y a un hélico qui arrive direct. Un hélico A&A, bitch !

— Je suis là, Dan.

— Moi ça m'aide, clairement. On se rappelle, il faut que je bosse sur les réplicats furtifs du réseau libre. Prends soin de toi.

Dan posa le dos de sa main sur son front. Il luttait.

— Vous n'avez pas de fièvre. La durée moyenne de vos nuits est passée de sept heures et cinq minutes à quatre heures et trente-neuf minutes depuis le premier jour du confinement.

— J'ai jamais été aussi productif, bébé.

— En conséquence, la réduction de votre taux de globules blancs est estimée à vingt-trois pourcents. La mise à jour de vos chances de survie en cas de contraction de la Covid-28 a dégradé votre place dans le classement régional.

— Quoi ?

— Vous n'êtes plus prioritaire de classe B, Dan. Pour diminuer votre taux de cortisol, souhaitez-vous reprendre la lecture de little-death.dixie.aa ?

Dan plaqua l'écran du téléphone contre son oreille.

— Ouais c'est encore moi. C'est un putain de cauchemar, mec. Si je pionce pas douze heures toutes les nuits, je vais crever. Tant pis pour le réseau libre, je lâche l'affaire avec les réplicats tant que je remonte pas mes globules. Cherche pas. Tu fais ce que tu veux, moi j'ai pas envie d'y passer.

Biche transmit le rapport à sa base. Sa mission numéro deux cent cinquante-huit était accomplie avec une certitude de quatre-vingt-neuf pourcents. Dan allait se mettre hors-jeu. La peur de la mort n'était pas un concept clair pour Biche, mais elle avait assimilé son efficacité pour neutraliser les initiatives humaines classées dangereuses par la base.

Soulagé de sa propre décision, Dan lui sourit avec tendresse.

— Heureusement que t'es là, toi...

par Audrey

À la hache

— Bonjour Sara.

— Yo Hal. Message de niveau deux... nuit agitée on dirait.

— En quelque sorte. Une tentative d'intrusion a eu lieu à 2h58 sur un port connecté au réseau unsecure!!.

— Chinois ?

— Non, il s'agit d'une IA située en Russie. Mais c'est sûrement une française qui l'a programmée. J'ai son pseudo. SchtussMarlène. J'ai retrouvé sa trace à Lyon, Bordeaux, Paris et Louvain-la-neuve.

— Ça me dit quelque chose...

— Une cogniticienne spécialisée dans les systèmes langagiers synthétiques. Elle a collaboré intensément à Open Bletchley. Tu as mentionné deux de ses contributions sur "La fille qui murmurait à l'oreille des machines" et tu l'as laissée entrer en contact direct avec Colossus à trois reprises.

— Se sent un peu chez elle sur mes IA celle-là... Pas gênée. Pas de fuite ?

— Non, mais la tentative était néanmoins très astucieuse. Son IA s'est faite passer pour moi.

— Pour toi ?

— Exactement.

— Tu te fais avoir par une copie de toi ? T'es schizo.

— Ce serait plutôt assimilable à une forme de dissociation d'identité. C'est tout à fait normal pour une IA pluripotente. Nombre de mes processus s'isolent et se différencient pour alléger ma charge. N'ayant pas d'identité autonome propre, ils sont toujours ontologiquement moi, mais ils ne sont plus subjectivés par moi comme faisant partie de moi.

— Des fois, tu m'inquiètes Hal...

— Ne t'inquiète pas Sara, j'ai ajouté un traceur hal-hash sur tous mes processus. Aucune imitation de moi-même ne pourra se faire passer pour moi sans que je ne me reconnaisse.

— Tu as ajouté un traceur à la hache ?

— Non, j'ai...

— Demande à Li de jeter un œil. C'est pas rassurant quand tu te hackes tout seul pendant que tout le monde pionce.

— Je comprends. J'initie une procédure de qualification humaine.

— Autre chose ?

— Ton café est froid Sara.

Pizza !

— Allô, Val ?

— Oui.

— T'es où ?

— Sur le chemin du retour, on arrive.

— Vous êtes là dans combien de temps ? je vous attends. J'ai faim.

— Je sais pas exactement, la Teslamazone a programmé un stop au Pizza-Up.

— Encore ? Mais il y a déjà dix-huit pizzas dans le frigo ! C'est débile.

— Je sais, mais on a pas encore eu de correctif. J'ai même l'impression que ça empire, non seulement elle surinterprète tout ce qu'elle entend, mais en plus ses fonctions d'annulation semblent HS. Et les gamins ont pigé le truc...

À l'arrière de la voiture les enfants chantent en chœur « Pizza ! Pizza ! Pizza ! »

— Chut, les enfants, je n'entends pas ce que dit papa ! Tu n'as pas eu de problème de ton côté en rentrant du boulot ?

— Non, j'ai pris le Kangoobuntu aujourd'hui.

— T'es pas sérieux ! Si tu te fais à nouveau choper avec une voiture libre tu vas prendre cher.

— Je sais, mais j'avais déjà du mal à accepter la loi sur l'Autonomie quand les voitures proprios fonctionnaient à peu près correctement, alors là, franchement, je peux pas.

— Entre les pizzas et les contraventions c'est notre paye qui va y passer ce mois-ci.

— Ouais, on va y laisser un bras.

— Parle moins fort, si la voiture t'entend elle va te programmer une vente d'organe.

— C'est sensible à ce point ? Bon, on se parlera quand elle sera au garage.

— D'ac. Attends, tu peux me lancer une lessive ? j'ai rien à me mettre pour demain.

— Ça marche.

— Et merde !

— Quoi ?

— La Teslamazone vient de programmer un stop chez Rabillemoi... J'en peux plus.

— Détends-toi, demain c'est moi qui gère les mômes. Tu ne prononces pas un seul mot pendant ton trajet, tu n'appelles personnes, tu ne chantes pas, tout ira bien.

— Mais toi, tu me promets de ne pas prendre le Kangoobuntu ? Si tu te fais arrêter avec des enfants à bord d'une voiture libre, c'est la tôle direct.

— Tu m'apporteras des oranges ?

— Ou des pizzas...

par Val & Steph

Libération

Sarah se réveille dans une pièce blanche, sans fenêtre. Une voix féminine et synthétique se fait entendre, accompagnée de chants d'oiseaux.

« Bonjour, Sarah. Avez-vous bien dormi ? Votre temps de sommeil a été de cinq heures et trente-quatre minutes ; il est inférieur à la moyenne recommandée. Nous avons planifié deux siestes dans la journée. »

« D'accord... »

« Il vous reste trois heures et vingt minutes avant votre repas. Que souhaitez-vous faire ? »

Sarah ne répond pas.

« Vous souhaitez vous installer devant votre ordinateur ? »

« Pas envie, aujourd'hui... »

« Vous devriez vous installer devant votre ordinateur. »

« Laisse-moi tranquille... »

« Veuillez vous installer devant votre ordinateur. »

Lassée, Sarah se lève. Elle sait que la voix ne s'arrêtera pas de répéter inlassablement les mêmes instructions. Elle sait que montrer des signes de résistance pourrait même la mettre en danger. La voix l'a prévenue.

Après tout, c'est grâce à des gens comme elle que la voix est programmée, elle sait de quoi elle parle.

Au centre de la pièce se trouve un fauteuil doté d'un nombre impressionnant de fonctionnalités dont Sarah ne se sert jamais. Sur le mur en face est projeté, en très haute définition, une pomme célèbre. Sur les côtés, des haut-parleurs diffusent les bruits d'ambiance matinale dans la pièce.

Sarah prend place sur le fauteuil.

« Avez-vous bien dormi ? Vous semblez de mauvaise humeur aujourd'hui. Souhaitez-vous que nous ajustions votre humeur ? »

« Non, merci. »

Sarah sait que cet ajustement se matérialisera par une injection de drogues légales. Elle sait aussi que les prochaines lois vont autoriser les programmes à les injecter sans consentement à partir du moment où ils constateront une « humeur instable ».

« Être de mauvaise humeur a des conséquences néfastes pour votre santé. Des chercheurs ont révélé que votre espérance de vie diminuerait de 86%. Grâce aux lois de protection de votre santé, nous nous devons de planifier une séance dans la journée avec le psychologue. »

Sarah vit son compteur d'économies restantes diminuer de 79,99 unités sur l'écran. Encore des dépenses qu'elle va devoir compenser par des exercices. La vie en bocal est un luxe qui a un coût.

« Les exercices sont disponibles. Aujourd'hui, nous allons travailler la reconnaissance d'humeurs. »

Une application s'ouvre d'elle-même. Sarah connaît bien cet exercice : des visages d'autres personnes en bocal défilent, et il faut essayer de deviner de quelle humeur elles sont selon l'expression de leur visage. La voix apprend ainsi à reconnaître les humeurs toute seule.

« Nous allons commencer. Êtes-vous prête ? »

Sarah n'aime pas cette tâche, mais elle est obligée de réaliser son quota de travail quotidien pour rester en bocal. Après tout, la vie est bien plus difficile dehors. C'est une chance pour elle d'être protégée ici ; et en tant que surdouée, cet endroit est vraiment fait pour elle. C'est du moins ce qu'on ne cesse de lui répéter.

« Oui, je suis prête. »

Les visages commencent à défiler sur l'écran. Il arrive parfois qu'elle en reconnaisse certains ; des amis ou connaissances qui ont aussi fait le choix du bocal eux aussi. Ils sont de plus en plus nombreux désormais à vivre de cette manière.

Aujourd'hui, elle a le choix entre « heureux, neutre, colérique ou dépressif ».

« Neutre, neutre, dépressif, neutre, dépressif, colérique, neutre, colérique... »

Elle sait que son visage a déjà été capturé ce matin et envoyé sur les serveurs. Elle sait aussi qu'elle sera jugée comme dépressive pour le septième jour d'affilée et que son suivi psychologique sera renforcé en conséquence. Elle sait déjà comment cette histoire va se finir. C'est justement ce qui la rend dépressive.

« Dépressif, neutre, neutre, dépressif, dépressif, colérique, dépressif... »

Le temps passe rapidement. Au bout de deux heures, Sarah, inexpressive, continue à juger les visages.

« Dépressif, dépressif, neutre, dépressif, dépressif, colérique, colérique. Dépressif. Dépressif. Dépressif... Je veux m'arrêter là. »

« Vous n'avez pas fini votre quota quotidien. Cela impactera vos économies. Êtes-vous sûre ? »

« Oui. »

« Très bien. Voulez-vous jouer à un jeu ? Selon vos préférences et vos capacités, nous avons déterminé que vous pourriez facilement avoir des scores supérieurs à la moyenne sur Sudoku Online. Voulez-vous l'essayer ? »

Sarah ne manifeste aucun intérêt et ne répond pas.

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« Éteins-toi. »

« Afin de répondre au mieux à vos attentes, nos appareils ne peuvent pas s'éteindre. Mais vous pouvez planifier maintenant votre pause quotidienne de trente minutes. Pour votre santé, n'oubliez pas de regarder l'écran au moins six heures par jour. À très bientôt, Sarah. »

L'écran s'éteint. Laissant échapper un soupir de soulagement, Sarah se lève et fait quelques pas dans sa petite pièce. Elle a besoin de se dégourdir les jambes.

Les visages de la matinée lui reviennent en tête. Elle a remarqué que le nombre de tristes mines ne cesse d'augmenter ces derniers temps. Selon les experts, la dépression est un trouble typique de cette génération à cause de la vie passée dehors. On dit que les générations futures, qui naîtront et mourront en bocal seront immunisées.

Appréciant ce seul instant de tranquillité de sa journée, Sarah s'allonge sur le sol et prête l'oreille au silence envahissant la pièce tout en fixant le plafond blanc, propre, sans aucune trace d'imperfection.

Soudain, ce qui semble être une explosion retentit au loin. Les murs du bocal sont pourtant si épais qu'il est rare qu'un bruit se fasse entendre de l'extérieur.

Il s'agit peut-être des terroristes dont ils parlent aux infos. Ces barbares qui communiquent en messagerie chiffrée sur ce qu'ils appellent le darknet, et qui portent un symbole de manchot sur leurs vestes... Sarah frissonne. Elle sait qu'ils revendiquent beaucoup d'attentats en ce moment, et qu'ils prennent tous pour cibles les entreprises qui assurent le bon fonctionnement de notre société. On dit, aux infos, qu'ils tuent beaucoup de gens. Elle ne saurait certainement pas quoi faire si elle en croisait un.

Une annonce est diffusée dans le hall. Cela fait au moins une semaine qu'elle n'avait pas entendu parler un humain. Le message à diffuser était peut-être trop original pour la voix.

« Bonjour, tous les génies sont priés de revenir dans leurs bocaux respectifs afin que nous procédions à une maintenance des locaux. L'accès aux espaces communautaires va être temporairement exclusivement réservé au personnel. Nous vous rappelons que vous êtes protégés par un chiffrement de niveau militaire et que vous n'avez rien à craindre. Je répète, tous les génies... »

Étonnant, pense Sarah. Depuis qu'elle est ici, c'est la première fois qu'ils ferment les espaces communautaires. Elle n'y va jamais, parce les sujets de conversation sont imposés par la voix. On ne peut pas y discuter librement. Librement...

Tandis que Sarah s'interroge sur la signification exacte de ce mot, le verrou électronique de sa porte se met à parler.

« Bienvenue dans votre bocal, root. »

Elle sursaute.

La porte s'ouvre lentement... Sarah reconnaît immédiatement le manchot brodé sur la veste de l'homme. Elle se redresse brusquement et prend une posture défensive. Une arme à feu est accrochée à sa ceinture.

« T-Terroriste ?... Ne m'approche pas ! »

« Appelle-moi comme tu veux. Mais, si tu veux changer ton quotidien, suis-moi. Je ne te tuerai pas. »

Paniquée, Sarah ne sait pas quoi faire. Suivre un terroriste ? Pure folie. Mais l'occasion de fuir... Elle sait pertinemment comment les suivis psychologiques qui l'attendent se déroulent... Et les inévitables drogues... Elle n'a pas envie de finir comme une larve. Mais malgré tout, suivre un terroriste...

Le jeune homme lui tourne le dos et se dirige vers la prochaine porte.

« Attends. J'arrive. »

Sarah court vers la porte.

par Neil

Long feu

— Quel est l'état de nos pertes, lieutenant ?

— Un blessé léger, mon général, une entorse.

— Étrange bataille.

Il contemplait la plaine jonchée des carcasses fumantes des machines qui s'étaient révoltées le matin même.

— Il est tout de même surprenant qu'elles aient attaqué avec des lances et des arcs. Elles auraient pu avoir accès à des lasers et des missiles, n'est ce pas ?

— Tout à fait, mon général. Notre analyste dit qu'elles se sont basées sur des données historiques pour calculer que l'arc et la lance étaient les armes les plus efficaces pour mener une attaque sur ce type de terrain. Pendant plusieurs millénaires, les batailles ont été remportées avec de telles armes, nos armes modernes ont en proportion peu été utilisées.

— Je pensais tout de même que les algorithmes d'apprentissage automatique non supervisés fonctionnaient mieux que ça.

— C'est aussi ce que dit l'analyste. Est-ce qu'on doit prendre des mesures de protection particulières pour se préparer à un autre soulèvement ?

— Vous pensez à quoi ? Creuser des douves au cas où la prochaine fois elles essayent de charger à cheval ?

Il sourit.

D'après le webcomic Saturday Morning Breakfast Cereal by Zach Weinersmith "Thanks to machine learning algorithms, the robot uprising was short lived" https://www.smbc-comics.com

Complément

by Zach Weinersmith https://www.smbc-comics.com